COLLOQUE INTERNATIONAL DE OUAGADOUGOU SUR LA MEMOIRE DU PROFESSEUR JOSEPH KI- ZERBO ORGANISE PAR L’ASSOCIATION DES HISTORIENS DU BURKINA FASO
COLLOQUE INTERNATIONAL DE OUAGADOUGOU SUR LA MEMOIRE DU PROFESSEUR JOSEPH KI- ZERBO ORGANISE PAR L’ASSOCIATION DES HISTORIENS DU BURKINA FASO
OUAGADOUGOU, 24 Novembre 2008
Lieu : Université de Ouagadougou
Présentée par: Dr VOKOUMA/BOUSSARI Karimatou Jocelyne, Anthropgue/Chargée de Recherches à l’Institut des Sciences des Sociétés (INSS)/Centre National olo de Recherches Scientifiques et Technologiques (CNRST)/Enseignante à l’UFR-SH/Département d’histoire de l’université de Ouagadougou.
INTRODUCTION
Dans la pensée du Professeur Joseph KI-ZERBO, la problématique « femme » se pose en termes d’équité et de justice sociale. Ainsi, en sa qualité d’historien apposant un regard critique sur la situation de la femme, il affirme que « Sans les femmes, l’histoire est unijambiste. L’histoire ne serait vraiment humaine que si elle marche sur ses deux jambes . » Grand combattant de la démocratie, de la justice et des libertés fondamentales, socles indispensables à l’expression et à l’exercice des droits humains, il ne pouvait en être autrement face à un tel constat de fait. Le professeur Joseph KI-ZERBO apparaît dès lors comme un grand défenseur de la cause des femmes.
Pour bien cerner la dynamique d’une telle pensée, il est important d’inscrire une logique de raisonnement qui tienne compte de l’histoire humaine. En effet, selon LABOURIE- RACAPE (A ; 2000 : 9), les femmes représentent la moitié de l’humanité. Dans la plupart des pays du monde, la tendance démographique est à plus de 50% des populations nationales. Ainsi, « poser le principe de la parité, c’est penser que les femmes ne sont pas une minorité parmi d’autres (ethnie, race,[…]…) dont il fautdéfendre les droits et les acquis mais l’un des deux pôles de l’humain ». De ce fait, « la parité, ce n’est pas protéger une minorité mais poser le principe d’une égalité de statut, une égalité qui donnerait aux femmes et aux hommes la même capacité de concevoir, d’agir dans tous les domaines et de bénéficier du bien-être.»(LABOURIE- RACAPE, op.cité : 9). Comment cela peut – il être possible lorsque l’historiographie savamment élaborée par COQUERY-VIDROVITCH(C ; 16-21 Juillet 2001 : 4) sur les Africaines présente dans une large mesure une existence effacée des femmes africaines en dépit de leur présence physique dans l’action aux côtés des hommes ?
De la période antérieure aux indépendances à 1970, la plupart des études réalisées sur les femmes en Afrique ont montré une timide prise en compte de ces dernières malgré leurs efforts de contribution à la bonne marche des sociétés. Victimes de l’histoire et des principes culturels préétablis qui régissent les sociétés dans lesquelles elles vivent, le professeur KI-ZERBO en intellectuel bien averti de ces questions ne pouvait pas rester indifférent à une pareille situation qui en réalité, nie de façon préjudiciable à la femme non seulement son existence, mais aussi son humanité. En effet, de la période précoloniale aux indépendances, la plupart des écrits des hommes missionnaires présentaient « la femme comme un être primitif, sauvage et dévoyé. »(COQUERY-VIDROVITCH, op.cité : 2). Sur le cas des femmes « voltaÏques », actuel Burkina Faso et plus précisément dans l’ancien Moogo , BINGER (L-G,1892 : 495) rapporte le témoignage suivant : « la femme salue et ne parle pas à qui que ce soit sans se prosterner et se tenir les joues avec les paumes des mains tournées en dehors, les coudes touchant la terre.»Ces témoignages consacrent la vision conformiste de la femme, lui confèrent les clichés les plus reculés que la Sœur MARIE-ANDRE du Sacré (inCOQUERY-VIDROVITCH (C ;op.cité : 2) va tenter de corriger en 1939. Car, « traiter les femmes comme une catégorie à protéger, à défendre est plus simple et ne comporte guère de risques» selon LABOURIE- RACAPE (Op. Cité, 2000 : 9).Ainsi, après la seconde guerre mondiale, COQUERY-VIDROVITCH (op.cité : 2) note « un regard direct » et l’émergence de « quelques rares anthropologues femmes[à l’échellemondiale], comme la Belge COMHAIRE-SYLVAIN qui observe de façon remarquable dès 1951, l’activité des femmes commerçantes de Lagos au Nigeria, la biographie de pionnières[africaines] dans le domaine économique telles que OMU OKWEÏ écrite dès 1943 et BABA de Karo publiée en 1954. » Pour trouver de véritables études sur les femmes en Afrique, il a fallu attendre la décennie 1960-1970 avec des femmes anthropologues comme Denise PAULME et Ester BOSERUP. Sous la direction de la première, un ouvrage collectif a été publié en français. Il s’intituleFemmes d’ Afrique noire et a été traduit en anglais dès 1963 sous le titreWomen of Tropical Africa. Quant à la seconde, c’est elle qui a, selon COQUERY-VIDROVITCH (op.cité : 3) fait découvrir « le rôle des femmes dans le changement économique agricole, le seul champ alors vraiment étudié en Afrique à l’exception de l’ouvrage précurseur mais resté momentanément sans suite de Georges BALANDIER sur Les Brazzavilles noires réalisé en 1955. L’idée (depuis lors discutée mais néanmoins féconde) que le travail de la houe est celui de la femme, et que le passage à la charrue signifie du même coup la masculinisation de l’agriculture, se révèle particulièrement bien adaptée au continent noir. Du coup, les anthropologues hommes vont découvrir à leur tour le rôle essentiel des femmes dans la société dite « traditionnelle », avec le livre phare de Claude MEILLASSOUX qui s’intitule : Femmes, greniers et capitaux publié en français 1975 et traduit dans la langue anglaise en 1981. »Ainsi, au regard de l’interpellation formulée par le Professeur Joseph KI-ZERBO à travers sa pensée du 14 février 2002, il a rappeléà l’occasion, la nécessité fondamentale de considérer la femme au même pied d’égalité que l’homme, parce qu’elle est un être humain doté de capacités et de facultés qui lui permettent de produire sur tous les plans autant que l’homme. Toutefois sous l’effet de circonstances historico-culturelles, les femmes se sont retrouvées victimes de discriminations, d’exclusions et de rejets de toutes natures, faisant d’elles des « moins que l’homme », potentiellement perçues comme des sous-hommes, des sous-êtres, des êtres inférieures à l’homme, des mineures sous tutelle du père et/ ou du frère, des étrangères de nulle part, etc. Selon le Rapport de la Phase 1 consacré au diagnostic-orientation du Schéma National d’ Aménagement du Territoire (SNAT-Burkina Faso), il y ressort ce qui suit : « dès sa naissance, la fille est moins bien accueillie et soignée que le garçon. Par exemple chez les Mossi, lors de la naissance d’un enfant, la doyenne des femmes qui y assistent annonce à la famille s’il s’agit d'un «tinguin biiga» (autochtone, c'est-à-dire un garçon) ou d’une «sanna» (étrangère, c'est-à-dire une fille). La fille est initialement considérée comme une étrangère d’abord dans sa propre famille (car promise au mariage), ensuite dans la famille de son époux car elle ne devient jamais un membre à part entière, même après avoir mis des enfants au monde . Cette situation est renforcée par la virilocalité (la femme à son mariage va s’installer chez son mari et le couplea une résidence virilocale). » De ce pareil décors socioculturel bien campé, va naître des stéréotypes négatifs qui domineront l’inconscient collectif de la plupart des sociétés humaines. Ce qui ne laisse pratiquement pas de choix à la femme d’être ou de paraître autrement que de la manière dont la société entend qu’il en soit. Avouons-le, un tel contexte n’est pas du tout facile à vivre ; pour cela il faut que beaucoup de choses changent et évoluent, afin que la femme soit en mesure de jouir véritablement des droits humains fondamentaux et être disposée à laisser s’exprimer en toute naturalité ses capacités et ses potentialités. C’est la raison pour la quelle Michael GEILGER (1992 : 12) rappelle que :«aider les femmes, ce n’est pas seulement une question de justice sociale et une contribution à la réalisation des droits humains, mais aussi et surtout une contribution au développement économique d’un pays.»L’engagement du Professeur Joseph KI-ZERBO nous interpelle toutes et tous à agir pour l’avènement d’un monde nouveau où il fera mieux vivre non seulement pour l’homme et pour la femme, mais aussi pour le garçon et pour la fille. Le souci de prendre en compte la femme s’inspire de la nécessité sans doute de développer des recherches spécifiques sur la question dans une perspective de l’approche genre, qui suppose que la réflexion et l’étude des situations économiques et socioculturelles s’attachent non seulement aux caractéristiques de chacune des catégories humaines, mais aussi aux relations entre les deux composantes féminine et masculine de l’humanité et à une meilleure compréhension de ces relations ainsi que leur incidences sur ces situations(LABOURIE- RACAPE,A ; 2000 : 9). Comme plan de travail, nous proposons d’aborder la question de la femme dans la pensée du Professeur KI-ZEBO en deux parties. D’abord, nous traiterons de la Vision du Professeur Joseph KI-ZERBO selon l’approche genre des questions de la participation à un développement équilibré et non équilibriste du continent africain. Ensuite, nous verrons en quoi consistent les défisrelatifs à la promotion du genre en Afrique dans la pensée de kizerborienne de la femme.
1. La Vision du Professeur Joseph KI-ZERBO selon l’approche genre des questions de la participation à un développement équilibré et non équilibriste du continent africain
A travers sa vision du problème des femmes, le professeur Joseph KI-ZERBO nous invite à nous engager sincèrement non seulement pour notre propre développement, mais aussi pour celui des autres en l’occurrence à celui de la femme et de la jeune fille qui ont été défavorisées par les considérations vraiment bornées du passé qui ont handicapé leur évolution humaine. Ces réalités font que des origines à nos jours et ce en dépit de la volonté voire des quelques moyens de soutien, elles n’ont pratiquement jamais les mêmes trajectoires que les hommes et les garçons. Dans notre regard d’historienne – anthropologue, la situation des femmes se présente comme le cas de la domination coloniale où les peuples africains, n’en pouvant plus, se sont organisés pour déclencher ce qui a été qualifié dans l’histoire par le terme de « mouvements de la décolonisation. » Sans avoir pris l’allure véritable d’un mouvement subversif, beaucoup de femmes conscientes des inégalités, de discriminations et des injustices dont elles sont victimes se sont organisées à travers le monde et se mobilisent constamment pour des changements socioculturels qui prennent en compte non plus uniquement les priorités ou les besoins des hommes et des garçons seuls mais aussi ceux des femmes et des filles. C’est là tout le sens du combat des femmes remarquablement soutenu par le Professeur Joseph KI-ZERBO, qui est avant tout un combat de mieux en mieux organisé pour l’équité qui se définit comme le respect de ce qui est naturellement juste. Le terme d’équité s’identifie aux notions d’impartialité et de justice. Quant à son corollaire « égalité », il renvoie à la qualité de ce qui est égal. C’est le fait pour les humains, d’être égaux devant la loi, d’avoir les mêmes droits. Les termes « infériorité » et « supériorité » sont les contraires du mot « égalité ».Car, les changements espérés doivent être ceux qui portent des valeurs novatrices où les hommes et femmes, les jeunes, les enfants et les adultes devraient trouver leur compte dans leur raison d’être. Aucune catégorie humaine ne devrait plus jouir d’un bonheur aussi relatif qu’il soit au détriment des autres.Comme l’a souligné Léopold BADOLO , Docteur en psychologie(in Cifraf N°008, Août 2008 : 6)" le mouvement n’est pas un combat des femmes contre les hommes pour prendre leur place, c’est une lutte pour une démocratie véritable et un développement au profit de tous ".Ce qui semble particulièrement intéressant dans la vision kizerborienne du genre est qu’elle nous fait obligation en qualité de citoyennes et de citoyens burkinabè voire africains d’œuvrer positivement, afin de participer efficacement à un développent équilibré et non équilibriste de notre pays ainsi qu’à celui de l’Afrique. En la matière, il a été lui-même un modèle et un exemple patent. En témoigne l’engagement ouvert, constant et indéfectible de son épouse Madame Jaqueline KI-ZERBO bien visiblement à ses côtés dans tous les combats qu’il a menés depuis par exemple le soulèvement du 03 Janvier 1966 jusqu’à son soutien au président Sékou TOURE à travers lequel le couple a soutenu le peuple de la République de Guinée en abandonnant ensemble tout dans leur pays pour y dispenser gratuitement des cours en soutien au système éducatif défaillant malgré les efforts d’appuis de l’UNESCO. En ce qui concerne la réalité pratique du genre dans le comportement du Professeur, qui consiste pour un homme ou pour un garçon d’être capable d’accorder sa femme ou à sa copine la possibilité dans la liberté de mener des actions tant publiques que privées ou de se développer comme lui, Frédéric GUIRMA nous rapporte le témoignage suivant : « le trois janvier 1966, le soleil se lève sur une capitale morte. Les forces de l’ordre barrent toutes les voies d’accès vers le centre de la ville et le quartier administratif. Les voies de sortie des quartiers aussi bouclées.[…] , [ A travers un ] récit, le Secrétaire politique de L’UDV- RDA, mis en cellule à la gendarmerie près du cours normal [ rapporte ce qui suit :] « Je suis réveillé dans ma cellule par des cris. Par la fenêtre, je vois Mme Ki – Zerbo, à la tête des élèves brandissant des pancartes et marchant vers la ville. C’est en effet, Jacqueline KI – Zerbo, l’héroïne de la journée, qui déclenche le détonateur. » (GUIRMA, C., 1991 : 142).
Le genre est unterme d’origine latine. Il provient des mots « genus ou generis » qui renvoient à une division fondée sur la distinction naturelle des deux sexes (mâle et femelle) ou sur une distinction conventionnelle.Selonle Professeur BALIMA (Th. S; novembre 2007 : 3) « dans le contexte du développement humain, le genre est un concept d’analyse sociale qui prend en compte, dans une communauté donnée, l’existence de différentes catégories socioéconomiques et les rapports qu’elles entretiennent entre elles. Le sexe se réfère aux différences biologiques universelles déterminées entre l’homme et la femme et le genre aux différences sociales et aux relations entre homme et femme qui sont acquises. Ces différences et relations évoluent dans le temps et varient d’une culture à une autre, d’un contexte à un autre, et même au sein d’une même culture et sont susceptibles de se modifier. Dans un processus de développement humain, il s’agit de déceler les différences entre les hommes et les femmes, d’étudier leurs activités, leurs conditions et besoins spécifiques, leur accès aux ressources et leur maîtrise, mais aussi leur accès aux bénéfices ou retombées des efforts de développement ».
La promotion du genre dans les cultures africaines relève d’une problématique de l’éducation. Dans l’éducation culturelle de l’Afrique des traditions endogènes de groupe, l’enseignement culturel de base s’adressant aux garçons leur rappelait des valeurs de référence en mesure de conférer une place raisonnable au sein de la société. Ainsi, l’idéal que prône l’option de l’approche genre relève de défis que le Professeur Joseph KI-ZERBO n’a pas manqués rappeler à l’histoire.
2. Les défisrelatifs à la promotion du genre en Afrique dans la pensée kizerborienne de la femme
Les défis de la pensée du professeur KI-ZERBO sont deux ordres et constituent un message très important aux historiens. D’abord il a tracé une voix donnant le bon exemple qu’il représente en faisant une promotion concrète du genre dans sa vie quotidienne et nous invite ainsi à son école pour une véritable promotion de l’équité dans nos communautés respectives, dans nos cadres d’existence par des comportements exemplaires. Il s’agira en outre, que nous soyons homme ou femme, de veiller dans l’éducation et l’encadrement scolaire ou universitaire et/ou domestique, en neposant pas d’actes discriminatoires, d’intolérance, d’exclusion ou de rejet de la personne d’autrui au risque de porter préjudice à une ou à des vie(s) morale(s).
Ensuite, en nos qualités respectives d’enseignants, de chercheurs et/ou d’acteurs du monde scientifiques, il nous a, par cet acte historique très révélateur de sa pensée sur la femme, investit d’une mission essentielle d’aider la jeune génération des adultes de demain qui sont les garçons et les filles d’aujourd’hui, à vivre équitablement en leur apprenant les fondements du droit selon Thomas HOBBES(1983, Le Léviathan : 290), qui rappelle ceci : « ne fais pas à autrui ce que tu estimes déraisonnable qu’un autre te fasses ». Cette approche des philosophes politiques a été renchérie par la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme(DUDH) adoptée par l’ Organisation des Nations Unies(ONU) en 1948,c’est-à- dire peu de temps après la fin de la seconde guerre mondiale dans l’espoir que le monde s’est engagé par cette voix à œuvrer de telle sorte que l’humanité ne connaissent plus les atrocités qui ont particulièrement caractérisées cet important conflit du fait du rejet de « l’autre », son prochain. Dans son article premier, elle stipule que « tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité ».En outre, la constitution du Burkina Faso en son article premier rappelle que « tous les Burkinabé naissent libres et égaux en droits. Tous ont une égale vocation à jouir de tous les droits et toutes les libertés garantis par la constitution. Les discriminations de toutes sortes, notamment celles fondées sur la race, l’ethnie, la région, la couleur, le sexe, la langue, la religion, la caste, les opinions politiques, la fortune et la naissance sont prohibées ».Pour être plus claire, la Convention sur l’Elimination de toutes les Formes de Discriminations à l’ Egard des Femmes(CEDEF) adoptée en 1979 par l’Organisation des Nations Unies rappelle que « l’expression discrimination à l’égard des femmes vise toute distinction, exclusion ou restriction fondée sur le sexe qui a pour effet ou pour but de compromettre ou de détruire la reconnaissance, la jouissance de l’exercice par les femmes, quelque soit leur état matrimonial, sur la base de l’égalité de l’homme et de la femme, des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans les domaines politique, économique, social, culturel et civil ou dans tout autre domaine ».En somme, les discriminations dont les femmes et les filles sont victimes relèvent de comportements hors la loi.D’un point de vue scientifique, s’il est difficile pour un spécialiste de se couper du passé gréco-romain dans l’approche des questions européennes y compris celles de la femme, il ne lui serait pas évident également d’analyser les faits historico-culturels africains sans se référer à leur sens profond ainsi qu’à leur cohérence par rapport à la civilisation de l’Egypte ancienne où la femme avait un statut qui relève d’un idéal de nos jours. En effet, la femme égyptienne des temps anciens possédait des droits de citoyenneté et ne pouvait pas être réduite en esclavage. Des témoignages contenus dans les écrits des égyptologues ont rapportés que son statut légal faisait d’elle l’égale de l’homme quelque soit sa situation matrimoniale. Elle avait le droit de propriété qui lui conférait de disposer de ses biens, vendait ou louait de son gré. Elle pouvait faire son testament ou le révoquer. Il lui était possible également de transmettre ses titres et droits politiques. La femme égyptienne pouvait entre autres intenter des procès, témoigner devant un tribunal et participer aux cérémonies religieuses. De nos jours, la problématique de la participation et de l’implication des femmes dans le processus de développement en Afrique ne fait-elle pas l’objet d’un débat d’actualité ?
L’expression ou encore la jouissance du droit à la liberté par les femmes se heurtent sensiblement à des dispositifs culturels qui ne reconnaissent pas toujours à la femme un quelconque besoin à une telle aspiration. Dans son éducation de base le petit garçon de l’Egypte des temps anciens ne devait pas perdre de vue une des maximes fondatrices de la société à laquelle il appartient et au sein de laquelle il est appelé à évoluer. Il s’agit pour lui de se rappeler ceci :« quand vous serez un jeune homme et que vous prendrez une épouse et l’installerez dans votre maison, souvenez-vous de la manière dont votre mère vous donna naissance et comment elle vous éleva. Ne permettez pas qu’elle vous blâme, qu’elle se remette entre les mains de Dieu et qu’Il entende ses lamentations[…]. Ne contrôlez pas ce que fait votre femme dans sa maison si vous la savez capable ; ne lui dites pas « où est cela ? »…observez le silence, trouvez-le, ainsi vous pourrez reconnaître ses talents ». Une telledisposition d’ordre éducationnel soulève le problème fondamental de lacohabitation homme-femme au sens moderne du terme. Dans la plupart des relations de couple, il arrive que certaines femmes vivent constamment des situations inadmissibles de déstabilisation intérieure(problème de psychologie !) liées au fait qu’à défaut d’admettre des talents qui confèrent aux femmesune certaine supériorité dans les relations à deux, certains hommes choisissent tout simplement de détruire les potentialités féminines qui demeurent en faite l’essentiel de ce qui fonde leur valeur humaine. Ainsi, lorsqu’elles développent ou prennent des initiatives intéressantes, au lieu de les féliciter, de les encourager ou tout simplement de les apprécier positivement en leur disant de belles choses ou en leur adressant des mots gentilles, certains hommes préfèrent adopter des attitudes négatives, tendant à les décourager et à les remettre en cause dans leurs efforts de construction et de production à un moment où elles n’en ont surtout pas du tout besoin. Le corollaire d’un tel cas de situation qui, relève à priori du banal duquotidien de la plupart des femmes pose un grave problème de société qui se retrouve principalement chez les femmes. Il s’agit du manque de confiance en soi qui empêche beaucoup de femmes pourtant dotées de bonnes capacités de réaliser des exploits dans les domaines classiques réservés aux hommes. La confiance en soi est pourtant un soubassement indispensable au renforcement de la personnalité qui fait défaut chez beaucoup de femmes et les empêche ainsi de réaliser de grandes œuvres appréciables.Dans beaucoup d’études relatives à la situation de la femme au Burkina Faso, cette question de manque de confiance en soi chez les femmes revient comme étant un des handicaps majeurs à l’exercice leurs droits civils et politiques, à l’instar du problème de manque d’ambition qui, en réalité se trouve lié au précédent. Ainsi, les femmesveulent bien s’engager dans bien de secteur du développement, mais la plupart d’elles ont peur des clichés savamment élaborés par la société en complicité avec l’histoire et la culture. Cesdernières, pourtant ont conféré et garantis une position de supériorité de l’homme par rapport à la femme. Et c’est à ce niveau précis de l’enjeu que représente le statut actuel des femmes en Afrique, que KI-ZERBO nous invite à agir pour sauver le nécessaire équilibre dont l’humanité aura besoin pour sa survie.
CONCLUSION
Face à la question de la femme et au difficile décollage des principes démocratiques quant aux enjeux de développement, le Professeur Joseph KI-ZERBO a laissé un héritage important à travers sa pensée. Il suffit aux historiens et aux historiennes de savoir l’exploiter comme un cadre d’expression vers le progrès ou un cadre d’orientation pour le futur de l’Association des Historiens du Burkina Faso. En effet, la promotion du genre au sein des cadres universitaires et de recherche pourrait bien consister en des actions de parrainage et de protection à travers des appuis – conseils bien formalisés. Dans une telle perspective, les étudiantes et les étudiants prennent déjà des initiatives de cette nature, besoin oblige ! , afin de comprendre certains enjeux importants de leurs vies futures tels que le type de coexistence entre garçons et filles sans difficultés majeures voire insurmontables. C’est ainsi que l’ex-JUNA, c’est-à-dire Jeunesse Unie pour une Nouvelle Afrique, l’Association des filles de la cité IMO, les étudiants de la cité universitaire de Gounghin, l’Association Un Soleil Pour l’Afrique (USPA) ont organisé respectivement des conférences sur les thèmes suivants : « les stéréotypes sexistes », « l’implication des femmes dans la recherche de la paix »,« 52 %, où est nous femme notre place au Burkina Faso », « Femme, Education et Responsabilisation .»
Car, selon le Professeur Serge Théophile BALIMA (Op. Cité : 11-12), « La participation des femmes est nécessaire en tant que droit mais, à cette échelle, elles ne sont pas à armes égales avec les hommes parce qu’elles sont encore loin de disposer des mêmes ressources économiques, des mêmes compétences et du même pouvoir dans la société actuelle des hommes. Dans nos pays encore frappés par l’analphabétisme féminin et par les tâtonnements de la démocratie, les perspectives d’une réelle participation des femmes au processus [de développement] ne seront prometteuses que si les femmes s’organisent, développent un leadership véritable, se forment et s’instruisent sur les questions de citoyenneté et de gouvernance. »
En somme, pour un progrès équitable de la société, les hommes et les femmes ont un rôle essentiel à jouer. Autrement, le développement sans la prise en compte manifeste et effective de l’homme et de la femme conduira à un déséquilibre. Ce qui n’est pas du tout souhaitable et c’est pour nous rappeler à l’ordre même à titre posthume que le Professeur Joseph KI-ZERBO réitère que «Sans les femmes, l’histoire est unijambiste. L’histoire ne serait vraiment humaine que si elle marche sur ses deux jambes. »Conscient de l’enjeu que représente l’approche genre aux plus haut sommet de l’exécutif, lors de la troisième session ordinaire de la Conférence des chefs d’Etat et de gouvernements des pays membres de l’Union africaine qui s’est tenue du 6 au 8 juillet 2004 à Addis-Abeba(Ethiopie)ont convenu de « promouvoir et étendre le principe de la parité entre les hommes et les femmes » dans les systèmes de gouvernance. Ainsi, en adoptant une politique nationale de promotion de la femme (PNPF) le 29 septembre 2004, l’Etat du Burkina Faso, en parfaite adéquation avec ses engagements au niveau régional du continent, entend œuvrer pour le «renforcement de la participation de la femme au développement socio-économique, politique et culturel du pays ainsi que la jouissance de tous les droits qui lui sont reconnus.»
BIBLIOGRAPHIE
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